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Dimanche 22 mars 2020 – Jour 6

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La colère est mauvaise conseillère, parait-il. Sans doute, mais elle permet de relâcher la pression et d’évacuer la frustration, au moins jusqu’à un certain point. Ce matin, cette colère s’est atténuée, diluée dans une bonne nuit de sommeil. En me promenant sur les réseaux sociaux, je prends conscience de l’énorme quantité d’information qui circule sur le virus, que ce soit par publications originales ou partage. Et comme toujours, il y a à boire et à manger. Comme l’a dit Umberto Eco « Les réseaux sociaux ont donné le droit à la parole à des légions d’imbéciles qui avant ne parlaient qu’au bar et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite. Aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. » Dans le même ordre d’idées, il a aussi affirmé que le prix à payer pour avoir Einstein d’un côté était d’avoir un imbécile de l’autre côté. Ces jours, ces deux vérités ont jamais été aussi bien illustrée que depuis que le CoVid-19 a fait irruption dans nos quotidiens, attise nos peurs et nourrit nos angoisses primales. 

Depuis des années, attentif au phénomène « Je l’ai vu sur Facebook donc c’est vrai », je profite à chaque fois que l’occasion m’en est donnée de chercher et recouper la source d’une information, particulièrement quand elle prend toutes les apparences de la vérité. Terme que je déteste et auquel je préfère celui de réalité. La vérité, étant pour moi une réalité passée au filtre de notre jugement et de nos valeurs personnelles, quand ce n’est pas par sous les fourches caudines des fantasmes de gens dont la connaissance et la culture est inversement proportionnelle au volume de leurs vociférations. Je préfère donc de loin la neutralité du mot réalité, même s’il n’est pas toujours bien compris. La différence ? Simple comme la météo. Si je dis, le soleil brille dans un ciel sans nuage et la température est de 27°, j’énonce une réalité. Si je dis, il fait grand beau et chaud, je profère une vérité. C’est la même chose me direz-vous. Oui, et… non. Pour un Breton qui vient de passer quinze jours sous la baille avec un petit 14°, oui, il fait beau et chaud. Pas sûr que le paysan sahélien qui prie depuis des mois pour qu’une averse vienne arroser ses récoltes desséchées soit du même avis. Pour lui, c’est du mauvais temps. Une réalité, deux vérités.

Tiens, ça me rappelle cette petite histoire du Marseillais et du Breton qui discutent dans un bar et le Marseillais, avec son exubérance méridionale d’y aller de son couplet « oh con, cette année on a eu un été incroyable, deux mois de soleil non-stop, un petit mistral qui nous gardait au frais, juste ce qu’il fallait de glaçons pour nous tenir le pastis à bonne température, et je te raconte pas le défilé des jouvencelles en bikini, té, rien que d’y penser j’en ai encore le fond de l’oeil humide ! » Alors le Breton qui sirotait son bol de cidre en silence (c’est taiseux, un Breton) le pose sur le comptoir, dévisage longuement le Marseillais et lui dit, « b’en nous on a eu un bol incroyable, cette année, l’été est tombé sur un week-end ! »

Pour revenir aux réseaux sociaux, il est donc indispensable d’être très attentif, même envers certaines sources a priori fiables. Et question désinformation, à-peu-près et raccourcis douteux, quand ce n’est pas pure malveillance, l’épidémie de CoVid-19 dépasse toutes les attentes. Dès que la situation a empiré en Italie et à mesure que l’épidémie se propageait dans toute l’Europe, on a vu se développer une psychose collective sur le web. A tel point que les informations officielles furent rapidement noyées sous les imprécations, annonces alarmistes et catsatrophistes de celles et ceux qui, il y a encore 3 semaines étaient surtout des experts en économie et retraites à points. En formation accélérée, ils sont maintenant devenus des virologues et épidémiologistes chevronnés à qui la communauté scientifique ne la fait pas. Non Monsieur ! Les exemples sont nombreux, j’en retiens deux que je trouve symptomatiques. 

Honneur aux complotistes puisqu’ils occupent l’espace internet depuis ses début, surtout depuis le 11/9. On a soudain vu fleurir un nombre incroyable de publications qui nous affirmaient que le CoVid-19 avait été créé dans un laboratoire secret (en fait, des labos ultra-sécurisés dits P3 ou P4) en 2004, par des scientifiques français financés par des acteurs du big-pharma comme on les appelle. Alerte rouge immédiate sur les réseaux sociaux, on commence à plaindre ces « pauvres Chinois » qu’on montre du doigt avec insistance depuis que le SRAS-Cov-2 a privé les Italiens de foot et d’opéra et les oblige à chanter leur hymne national au balcon en bouffant des pizzas à moitié froides. Les plus audacieux tenants de cette nouvelle théorie n’hésitent pas à mouiller les Américains, une bonne théorie du complot devant obligatoirement mentionner soit les Etats-Unis, soit les Francs-Maçons, soit les Sionistes, soit les Illuminatis et les Reptiliens, soit, et c’est un must, une congrégation réunissant tous ceux que je viens de citer. Les spécialistes m’excuseront si j’en ai oublié, je m’y perds un peu avec tous ces groupes qui veulent nous asservir et nous réduire en esclavage. 

Bref, c’est l’émoi et on en viendrait presque à exiger des excuses officielles au gouvernement chinois dont on oublie soudain avec complaisance que c’est son laxisme, ses dissimulations et son obsession à ne pas perdre la face qui sont responsables de l’épidémie. Il y quelques années on avait eu chaud aux fesses avec la grippe aviaire qui était également partie de Chine et qui avait été jugulée avant qu’elle ne se transforme en pandémie. Là aussi, on a très vite mis le doigt sur le problème, les virus passent de l’animal à l’humain à cause de la tradition asiatique du commerce d’animaux sauvages sur des marchés ouverts. Déjà à l’époque de la grippe aviaire, les défenseurs de la cause animale avaient protesté et exigé que les occidentaux obligent la Chine à changer ses pratiques et interdise le commerce d’animaux sauvage à destination de l’alimentation humaine. Je ne sais plus quelle avait été la réaction de la Chine à l’époque, mais j’imagine qu’ils nous ont poliment demandé de d’abord regarder du côté de nos élevages intensifs et nos abattoirs industriels, tout en glissant dans la conversation de ne pas oublier que la grande majorité de nos biens de consommation sont fabriqués chez eux à bas coût. 

On a donc vu circuler la copie d’un document daté avec les noms des scientifiques et de leurs commanditaires. Et voilà, Mesdames et Messieurs, la preuve, que dis-je LA PREUVE que nous, méchants occidentaux, avons « inventé » le SRAS-Cov-2 et que quelqu’un a mal refermé la porte du frigo un vendredi soir à l’heure de l’apéro. M’enfin, on vous avait pourtant dit qu’il ne fallait pas mettre les bières dans le même frigo que les virus tueurs. Selon ces experts en complot, on ne peut donc s’en prendre qu’à nous, en somme. Les plus inspirés n’ont évidemment pas raté le coche, faisant entendre qu’en fait « l’accident » n’en était pas un et que l’épidémie relevait d’une volonté et d’un plan en vue de diminuer la population mondiale ni vu ni connu. Sauf que, non, le fameux document est en fait la copie d’un brevet déposé par des scientifiques qui ont isolé une souche de la grippe et entendent protéger leur découverte en vue de travailler sur des vaccins, si j’ai tout bien compris en lisant et écoutant des scientifiques en parler. Ironie du sort, c’est donc dans le but strictement inverse de celui mis en avant par les complotistes que le travail des chercheurs a été fait. Comme le disait le regretté Coluche, pour passer pour des imbéciles, c’est de première. 

Pour celles et ceux qui veulent les détails, voici un article issu du site de la RTBF, soit la radio-télévision belge francophone

Malgré cela, certains continuent d’affirmer sur le web que le SRAS-Cov-2 est une « invention » vénéneuse créée en vue de je ne sais quel plan génocidaire. Ça pourrait prêter à rire ou sourire, sauf que ce genre d’ « info » fait des dégâts considérables chez les plus crédules, prêts à avaler n’importe quelle sornette tant qu’elle alimente et nourrit leurs frustrations et leur sentiment d’être abandonné par les pouvoir public, ce qui, soyons honnête n’est pas complètement faux. C’est d’autant plus inquiétant quand il s’agit de gens a priori intelligents et avec une certaine culture générale, je sais de quoi je parle, j’en connais personnellement quelques-uns qui sont devenus quasi irrécupérables. Et ce n’est pas faute d’avoir pris le temps d’essayer de les raisonner et de les ramener sur le chemin de la lucidité. Le mécanisme intellectuel qui conduit au complotisme ou conspirationnisme est fascinant. Il a très souvent pour origine une série d’injustices personnelles ou ressenties comme telles. Ces injustices sont toujours le fait de l’autorité, qu’elle soit législative, exécutive, judiciaire ou administrative. Le (re)sentiment qui en découle entraine une perte partielle puis finalement totale de confiance en l’autorité. Dans sa variante la plus radicale, chaque fois que l’autorité exprime un avis ou met en place une disposition légale ou réglementaire, le complotiste part du principe qu’a priori, elle ment et a forcément un dessein caché ou secret. L’argumentation du complotiste est souvent spécieuse, basée sur le mécanisme du paralogisme ou du sophisme. 

Le deuxième cas dont j’aimerais parler prête moins à sourire, en particulier vu la situation dans laquelle nous sommes. Il y a à Marseille un service d’infectiologie dirigé par LE spécialiste mondial reconnu de la chose, le Pr Didier Raoult. Lequel a déclaré le 26 février dernier dans une vidéo que concernant le Coronavirus, c’était « fin de partie ». Selon lui et au vu des essais menés dans son service sur des patients atteints du Covid-19 la solution au problème est la chloroquine, un antiviral qui a fait ses preuves, en particulier lors de l’épidémie de SRAS en 2003. Se basant sur les données chinoises concernant le Covid-19, le Pr Raoult a mené ses propres observations et tests et a conclu que la chloroquine était le traitement adéquat, du moins en l’absence de tout autre traitement connu à ce jour. On pourrait penser que le monde médical et pharmaceutique allait sauter sur l’occasion, se ruer sur la chloroquine et hop, problèmes réglés. Eh bien non, on a commencé à lui tirer dessus, certains de ses confrères, et pas des moindres, ont raillé ses compétences et même le journal Le Monde y est allé de son couplet en écrivant que les propos du Dr Raoult étaient des « fake news », avant de se rétracter. (Quand je vous disais qu’il faut être prudent, même avec les sources a priori fiables).

Pourquoi donc ces réactions. Un début d’explication réside peut-être dans la nature même de la molécule citée. La chloroquine est arrivée sur le marché en 1949 comme antipaludéen. Elle est depuis tombée dans le domaine public, ce qui fait que n’importe qui peut l’utiliser gratuitement pour fabriquer des médicaments. Enfin, quand je dis n’importe qui, je parle des acteurs du domaine pharmaceutique. Inutile donc de vous ruer sur Google pour essayer d’en commander et de fabriquer votre propre remède au Covid-19. Or, il est de notoriété publique que depuis le début de l’épidémie, les grands groupes pharmaceutiques ont ouvert les robinets et lancé de coûteuses recherches en vue de mettre au point un vaccin. On sait par ailleurs le coût de la recherche médicale, il nous est systématiquement opposé quand on parle des coûts de la santé et des médicaments en particulier. Les entreprises du domaine ne sont pas des philanthropes, et pour un médicament miracle contre telle ou telle maladie, il existe des dizaines d’échecs et donc un paquet d’argent investi à fonds perdus. Par voie de conséquence, les géants du Pharma voient d’un très mauvais oeil l’éventuelle « success story » de la chloroquine dans l’épidémie de Covid-19. 

Oui, mais on parle de vie humaine, quand même. C’est vrai, mais le profit ne s’arrête pas à de si mesquines considérations. On ne va quand même pas arrêter de chercher un vaccin qu’on pourra vendre au prix fort pour se mettre à fabriquer des pilules à 50 centimes la boite de 12, non mais sans blague. J’exagère sans doute, mais c’est le sentiment qui se dégage après avoir lu les différents articles sur le sujet. Une dernière chose, les tests menés sur deux groupes distincts, l’un prenant la chloroquine et l’autre ne la prenant pas a montré que ceux qui ont pris le médicament voient leur charge virale diminuer à 25% tandis que les autres restent à 90%. Chacun se fera son opinion, en tous cas et en l’absence de quoi que ce soit d’autre d’efficace, je pense qu’il faut commencer à traiter les malades le plus vite possible avec ce médicament.

Pour les détails de cette affaire, voici quelques liens utiles pour celles et ceux que ça intéresse et qui veulent approfondir leur connaissances.

Fiche Wikipedia du Dr Raoult

Blog de l’anthropologue de la santé et expert en santé publique Jean-Daniel Michel dont j’ai tiré les éléments factuels mentionnés ci-dessus.

Vidéo YouTube du Pr Raoult concernant ses observations sur la chloroquine dans le contexte du Covid-19.

– Article du journal La Provence qui livre une interview du Pr Raoult ensuite de la polémique sur la chloroquine.

Chroniques de santé du Pr Didier Raoult sur le site du Point

Pour terminer ce 6ème jour de confinement sur une note sympathique, je vous livre en exclusivité la visite que nous avons eue ce jour sous nos fenêtres. Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.

Parisiens essayant de passer inaperçus en villégiature confinatoire dans le Sud

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