Mercredi 25 mars – Jour 9
J’aimerais débuter ce billet par des pensées émues pour l’amie de ma mère qui lutte maintenant pour sa survie au CHUV. Au-delà du soulagement que j’ai ressenti suite au miracle de hier, l’ambiance est bien plombée par les mauvaises nouvelles qui arrivent de l’hôpital. Certes, avec les moyens de communication modernes, il est heureusement possible de rester en contact étroit avec ses proches qui sont loin, mais ça reste virtuel. Encore que, par les temps qui courent, il est préférable de s’en tenir au virtuel. Tout cela m’a donné l’occasion de réfléchir à ce que signifie concrètement l’isolement ou la solitude dans une telle situation. De ce que j’ai pu lire et constater, il semble que les deux catégories les plus sensibles au confinement soient les jeunes et les anciens. Aujourd’hui, je vais parler un peu des seconds, je reviendrai sur les jeunes dans un autre billet, plus tard. Nos anciens, surtout ceux qui ont soufflé 70 bougies et plus, sont très durement touché par l’épidémie et ses conséquences. Les mauvaises langues prétendent d’ailleurs que la vieillesse c’est quand, à son anniversaire, on coûte plus cher en bougies qu’en gâteau !
Outre l’évidente vulnérabilité à la maladie ou aux accidents, beaucoup sont seuls et malheureusement souvent pas par choix, mais parce l’un des conjoints est déjà décédé. Evidement, plus l’âge est avancé plus grande est la probabilité qu’une personne soit seule. Pour celles et ceux qui vivent dans des établissements médicalisés, le confinement est sans doute perçu moins brutalement que pour celles et ceux qui vivent encore chez eux. Mais il est clair que plus on avance en âge, plus le vide se fait autour de nous. Quand on commence à compter ses amis et ses proches sur les doigts de la main, ça peut devenir vraiment difficile à vivre, surtout lorsque le besoin d’interactions sociales reste important. Il y a aussi les affinités qui entrent en ligne de compte et l’état de santé de chacun.
A ces âges, la moindre bricole peut faire basculer le bien-portant de son canapé vers les soins intensifs ou pire. Il n’y a guère que les solitaires par vocation, les asociaux et les misanthropes à ne pas ressentir vraiment la difficulté du confinement. Pour celles et ceux qui ne brisaient leur solitude ou leur isolement qu’en sortant au bistro du quartier ou du village pour boire un café ou un canon en compagnie des copains ou des copines, c’est vraiment dur. Il y a bien des années, une vieille voisine presque centenaire que j’aimais beaucoup vivait seule dans son petit logement avec pour seule compagnie son chat. Je passais de temps en temps voir si tout allait bien et lui proposer de lui faire quelques courses, vu qu’elle ne se déplaçait que difficilement avec sa canne. Elle me remerciait toujours en déclinant la proposition, parce qu’aller chaque jour faire ses courses chez les petits commerçants du quartier était sa seule occasion de voir du monde et échanger quelques mots avec d’autres humains. En outre elle me disait malicieusement qu’à son âge, elle était encore contente de pouvoir faire un peu de « sport ». Elle ne me semblait pas malheureuse, elle vivait dans ses souvenirs entourée des photos de ses chers disparus, mais ça m’attristait de la savoir seule.
On dit souvent que la vieillesse est un naufrage, physique ou mental quand ce n’est pas les deux à la fois. Pour moi, la vieillesse c’est surtout la solitude, un repli sur soi, et lorsque les centres d’intérêts disparaissent ou sont inexistants, il ne reste plus que la télévision ou la radio pour rester en contact avec le monde. Ah, mais y a internet de nos jours. Oui, c’est vrai, mais combien de personnes âgées ont un ordinateur , une tablette ou un smartphone et savent s’en servir ? Certains encore vifs et alertes s’y mettent et finissent par arriver à les utiliser de manière plus ou moins autonome, mais pour beaucoup, ces engins sont autant d’outils diaboliques qui les effraient. Alors que ma mère s’y est mise et se débrouille parfaitement bien, ma marraine n’a jamais été capable de faire autre chose que lire des SMS et téléphoner avec son smartphone. Les rares fois où elle me répondait, c’est parce qu’elle était avec de la compagnie qui lui écrivait la réponse.
Dans une autre vie, j’ai donné des cours d’informatique et j’avais pas mal d’élèves âgés de plus de 65 ans qui venaient s’initier au maniement d’un PC et du traitement de texte. Au début de chaque cours, je faisais un tour de table en demandant aux gens de dire en quelques mots ce qu’ils attendaient du cours. Et je n’ai jamais oublié la réponse de cet attachant octogénaire et encore bien marié qui avait fait rire tout le monde en affirmant qu’il voulait pouvoir utiliser son traitement de texte pour écrire des lettres d’amour à ses… maîtresses. Pas SA, mais SES maitresseS. Et je vous assure que ce n’était pas de la vantardise. Le monsieur, 83 balais aux fraises, avait une réputation qui faisait passer DSK pour un chartreux. En cette période #metoo, je m’empresse de préciser que le monsieur en question était des plus respectueux. Pas le genre main au fesses, mais plutôt madrigal bien tourné. Et il avait un succès fou auprès des dames de plus de 60 ans.
J’envoie donc une brassée de pensées douces à nos anciens qui doivent souffrir du confinement bien plus que ceux dans la force de l’âge qui peuvent meubler leur solitude en allant sur les réseaux sociaux, en regardant des films en streaming ou en faisant des vidéoconférences avec leurs amis et familles. Même si je pense que les consignes ou les obligations de confinement doivent être suivies à la lettre, je ne peux m’empêcher d’être relativement tolérant quand je vois ces anciens vulnérables braver les interdictions pour, l’espace d’une promenade sans raison particulière, briser leur solitude et se sentir vivants.
Pour terminer, cette info désespérante concernant la propagation du Covid-19, la Suisse est championne du monde avec un taux d’infection de 120 personnes pour 100’000 habitants… A titre comparatif, l’Italie est à 115, la France à 34, l’Espagne à 102 et l’Allemagne à 41. Le Conseil fédéral ne donne toujours pas dans la politique-spectacle, mais il ne serait peut-être pas inutile que nos « sages » se réveillent et commence à suivre les conseils de la communauté scientifique qui implore le gouvernement de prendre enfin les mesures qui s’imposent. Le légendaire civisme suisse mis à l’épreuve de la pandémie n’a pas survécu. La preuve mathématique est maintenant établie. Le seul motif de satisfaction, si on peut utiliser ce terme dans les circonstances actuelles, réside dans le fait que la Suisse fait mieux que tous ses voisins (sauf l’Allemagne) en terme de décès pour 100’000 habitants. Cela tient sans doute à la densité de réseau de santé dans notre tout petit pays et à la qualité des soins qui y sont prodigués.
Ah, encore une chose attristante, l’Europe est entrée dans une sorte de guerre des moyens sanitaires, puisque les Tchèques ont bloqué le matériel à destination de l’Italie et que la France a fait de même avec ce qui devait arriver en Suisse. On a aussi appris que le Kenya avait fait de même pour du matériel qui aurait dû parvenir à l’Allemagne. Vous avez dit solidarité ?
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
A l’occasion, sauriez-vous nous donner des nouvelles de l’amie de votre maman ?
Je voulais attendre d’être tout à fait sûr, mais puisque vous demandez, l’amie va beaucoup mieux, elle semble hors de danger, mais les séquelles seront importantes. J’en reparlerais dans un billet, mais pas tout de suite. Belle soirée.