Samedi 28 mars 2020 – Jour 12
Et hop, une traversée de faite. En ce douzième jour, je me fais la réflexion que c’est exactement la durée de ma traversée de l’Atlantique entre le Cap Vert et la Martinique il y a un peu plus de quatre ans. Que cela me semble loin. Il y a cinq ans, j’achetais Azymuthe qui s’appelait alors « Maris Stella II » et j’avais passé tout le printemps et l’été 2015 à le préparer et le prendre en main en Méditerranée. Pendant ces 5 dernières années, il fut ma résidence principale et nous avons vu bien du pays, Espagne, Canaries, Cap Vert et la grande majorité de l’archipel antillais. Je me dis que le confinement n’est pas très différent d’une transat où on reste confiné dans un espace restreint avec un paysage qui ne varie que peu, la vraie différence étant que ça roule et tangue sans cesse pendant douze jours. Au fond, ici, c’est un peu pareil, c’est la météo qui change et donc qui fait évoluer le paysage. Enfin, pas tout à fait dans la mesure où le printemps nous offre une nature en constante évolution, du moins si on prend le temps de la regarder et de l’écouter. Par exemple, Le bruit du vent dans les arbres a changé. Il n’y a pas si longtemps, quand le vent se levait, on l’entendait siffler dans les branches, il emportait avec lui les feuilles mortes encore accrochées aux branches, les renvoyant en tournoiements et arabesques gracieuses devant nos fenêtres.
Maintenant que le feuillage est arrivé, le vent bruisse et chante dans les ramures, frémit en faisant ondoyer l’herbe encore verte mais qui finira par prendre une belle teinte jaune au coeur de l’été. Là-bas, au fond du jardin quelqu’un a posé une chaise face au lac, une façon de changer de vue et d’ambiance. Ca semble un peu stupide de le dire comme ça, mais le simple fait de s’éloigner de vingt ou trente mètres de la maison donne le sentiment qu’on est ailleurs. Les bruits sont différents le vent ne souffle pas de la même manière et les odeurs changent légèrement. Bon, vous me direz que ce n’est pas propre au confinement et je suis d’accord. Sauf que là, depuis plus de dix jours, il me semble que mes sens sont en éveil permanent. Le cerveau momentanément débarrassé des contingences du quotidien, j’ai l’impression d’avoir plein de disponibilités sensitives et en profite à fond. Ca me rappelle un peu mon enfance quand je n’avais pas à me soucier que quoi que ce soit d’autre que de mes émois, à la découverte d’un monde presque complètement inconnu. Ce retour à l’enfance est pour moi un cadeau, le trivial et le quotidien reprendront leur place bien assez vite. Profitons de ce break pour redécouvrir notre environnement, laissons-nous porter un peu par le silence et le chant des oiseaux, essayons de retrouver une paix intérieure qu’en temps normal nous n’avons presque jamais le temps de visiter et savourer.
A défaut de pouvoir se promener, on cherche et on trouve des astuces pour meubler sa journée. Aller boire un café une fois sur le « ponton », une fois sur la terrasse, une fois à l’intérieur permet de varier les plaisirs. Juste avant le confinement, en plein mois de février, on a eu le bonheur de voir l’amandier et l’abricotier en fleurs. Après quelques jours la tempête a tout emporté, il fallait donc profiter de l’instant. C’est d’ailleurs quelque chose que je me suis mis à faire presque tous les jours, je m’assieds, je prends un moment pour m’imprégner de cette nature si tranquille et sereine. Ce matin, grand bonheur, il était possible de rester dehors sans être habillé comme pour une expédition polaire. J’en ai bien profité. Ces jours, ce sont les pruniers sauvages qui enchantent la vue, il y en a presque partout où porte le regard et je mesure une fois encore le privilège de pouvoir endurer le confinement dans un tel écrin naturel. Aujourd’hui, pour la première fois, nous avons pu manger dehors à midi. Certes, nous ne sommes pas encore en chemisette ou t-shirt, mais avec un pull ou une veste légère, c’est que du bonheur. Un peu de chauffage ce matin pour enlever la crudité et l’humidité de la nuit et nous voilà parti pour une journée où il fait bon rester au soleil.
Il y a trois nuits, ma minette s’est bagarrée avec le caïd du quartier et vu le tapis de poils retrouvé au matin dans le jardin, la baston a dû être sévère ! Du haut de ses presque seize ans, elle ne fait plus le poids face à des chats encore jeunes mais elle essaie tout de même de défendre encore son territoire. Le problème, c’est que depuis mon départ en mer, elle a beaucoup été seule, trop seule, et est devenue un peu sauvage. Impossible de la faire dormir à l’intérieur si on doit fermer à cause de la température. Elle passe donc sa vie dehors, mais vu l’insécurité féline qui règne ici, elle a besoin de pouvoir se réfugier quelque part si ça tourne mal. On lui a donc réinstallé un carton au fond duquel j’ai mis un vieux pull mité et elle a pris ses quartiers nocturnes dans la maison tout en pouvant sortir et rentrer au gré de ses envies. Celles et ceux qui ont un chat connaissent par coeur ce caprice qui consiste a miauler quand il veut rentrer et à peine dedans se remet à miauler pour sortir. Si on laisse faire, on passe sa journée à faire de la gymnastique en même temps que le chat. Et pour peu que la porte grince, c’est une excellente méthode pour rendre fous ses voisins. A propos de gymnastique, voici une idée pour garder la forme :

Une dernière chose concernant ce billet quotidien. Jusqu’ici j’ai presque toujours trouvé quelque chose à raconter sauf hier. Perdu dans mes pensées et mes émotions, je n’avais pas envie d’écrire et encore moins de narrer ce qui me trottait dans la tête. Normalement, il y aura chaque jour un bout de texte, mais il sera pas toujours étoffé ni bien écrit ni même inspiré. Il faut dire aussi que l’endroit où je suis ne propose pas d’actualité trépidante et je me rends compte que je n’ai pas envie non plus de parler tous les jours du virus et de l’état de propagation de la pandémie. Ce jour, en l’occurrence, je ne suis allé me balader ni sur Internet ni sur les réseaux sociaux, sauf pour répondre à un ou deux messages reçus. Ca m’a fait le plus grand bien de décrocher de l’actualité surtout en cette période anxiogène. Je vais certes continuer à proposer la mise à jour de la page dédiée aux chiffres en les commentant brièvement, mais la leçon de ces deux derniers jours est entendue, il est indispensable de prendre de la distance avec ce que nous vivons, sous peine de devenir complètement paranos et bons pour le cabanon. Sous couvert de partager les dernières nouvelles ou potins ou scandales liés à l’épidémie, certains ont basculé en mode pseudo-lanceurs d’alerte et donnent malheureusement dans la surenchère, quand ce n’est pas dans le complotisme. Il me semble que c’est déjà assez compliqué et parfois angoissant sans encore en rajouter en mode apocalyptique. De plus, après une montée en puissance et le matraquage médiatique qui s’en est suivi, le soufflé commence à redescendre un peu au même rythme que nous nous habituons à cette nouvelle situation. L’être humain est définitivement très résilient.
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
Encore un peu d’humour reçu ce jour d’un ami médecin :
