Vendredi 10 avril 2020 – Jour 25
Journée un peu étrange où se sont mélangés plusieurs sentiments contradictoires entre mélancolie, joie et satisfaction. Mélancolie à l’idée que le confinement est loin d’être terminé et en me demandant de quoi sera fait demain, sorte de spleen où l’excitation de pouvoir bientôt reprendre la mer, voir mes proches et commencer une formation de massage est submergée par l’image d’un monde défait où la misère et la pauvreté domineront le futur social de l’Europe. Tristesse finalement d’être de plus en plus persuadé que non, nous ne retiendront rien ou presque de ce que nous vivons actuellement. Déçu de constater qu’aucune réflexion sur un autre modèle socio-économique n’émerge dans les cercles dirigeants, que ce soit au niveau politique, économique et financier. Au contraire, je sens une sorte d’acharnement à vouloir envers et contre tout redémarrer notre vieux modèle, modèle qui nous a conduit à la claustration à domicile. Certes, il y a des voix qui s’élèvent pour demander un « reset » et mettre en place la transition énergétique et industrielle indispensable à la survie de notre planète déjà si abîmée. Mais ces voix prêchent dans le désert, elles ne sont pas assez nombreuses et n’ont pas le poids nécessaire à un changement en profondeur.
Cela dit, j’ai passé une partie de la journée à me réjouir de fêter Pâques avec les voisins, c’est l’occasion de partager un bon repas dans la convivialité, les rires et la détente. Je ne veux pas parler pour les autres, mais moi j’en ai besoin. Vraiment. Courses, préparatifs, ne rien oublier si possible, faire du pain, sortir prendre l’air, retour sur l’ordinateur, quelques minutes sur Facebook, pas envie, toujours les mêmes infos ressassées et réécrites jusqu’à plus soif, je tourne en rond dans un univers qui lui ne tourne plus rond. Je regarde avec envie la minette qui est comme tous les animaux parfaitement imperméable à ce qui se passe. Madame mange trois croquettes, va s’étendre sur le paillasson de l’entrée, puis vient boire un peu d’eau, sort dormir au soleil un moment, revient manger le bout de gras qu’on lui a aimablement proposé, retourne boire un coup et file s’étendre nonchalamment dans son carton où elle soupire d’aise avant de piquer un roupillon. Si la réincarnation existe, je veux définitivement être un chat dans une nouvelle vie.
Enfin, la grande satisfaction d’avoir trouvé une bonne recette pour faire le pain. Bon, c’est encore hésitant et en rodage, mais maintenant le pain n’a plus cette mine anémique qui le faisait ressembler à un (très) gros cachet d’aspirine. Et il est délicieux. J’attends encore un peu avant de me lancer dans des trucs un peu exotiques, genre farine de châtaigne. Il parait que c’est très bon, mais pas simple à faire. Des années que je rêvais de faire mon pain, et il aura fallu le confinement pour sauter le pas. Je voyais ça comme quelque chose de compliqué à réaliser, mais une fois qu’on a trouvé la bonne proportion farine(s)/eau, c’est que du plaisir et du bonheur. L’instant magique quand on sort le pain du four, tout doré, embaumant la maison au point que le voisin vient voir ce qui se passe, l’oeil gourmand. Et plaisir final, le couper en deux et en offrir la moitié. Une fois bien refroidi, le déguster avec un bon morceau de gruyère ramené de Suisse au début de l’année. Voilà, il suffisait de pas grand chose pour mettre de la lumière sur la fin de la journée. La soirée coule tranquillement, devant un feu de cheminée qui crépite agréablement dans l’âtre.
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
L’éclat de rire du jour, piqué à mon ami C.A.

Jeudi 9 avril 2020 – Jour 24
Pour ceux qui dorment dans la rue
Juste une rue un peu enneigée
Une rue parmi d’autres figées
Dans le silence de l’indifférence
C’était un hiver sans violence
Altérant cette douce harmonie
Un seul arbre encore en vie
Semblait pleurer de bienveillance
Sur ce banc où gisait l’indécence
Rebut d’humanité souffrante
Lassé d’aumônes humiliantes
Un corps déchirait d’insolence
Ce décor de pureté et d’aisance
Oui, oublié des siens sans remords
Sans espoir le vieil homme était mort
Dans le silence de l’indifférence
C’était un hiver sans violence.
Mercredi 8 avril 2020 – Jour 23
Ils pullulent sur le web, ils sont en général d’un niveau scolaire qui ne dépasse pas la 2ème primaire, mais ils détiennent le « sachoir ». Ils l’ont vu sur Internet, ils connaissent le frère du patron de la belle-soeur du jardinier qui entretient les pelouses du CNRS, donc leurs « infos » sont de première bourre. Ils sont incapables de faire une simple règle de trois mais ils affirment que leurs calculs démontrent que la terre est plate, que les Américains ne sont jamais allés sur la lune et que Kubrick est mort assassiné parce qu’il allait révéler la supercherie (selon eux, l’alunissage aurait été filmé sur le plateau de “2001, l’Odyssée de l’espace“). Ils sont sûrs que le gouvernement nous arrose avec des substances chimiques pour nous rendre stériles ou idiots (les chemtrails), ils sont contre les vaccins (le gouvernement veut nous empoisonner) et sont convaincus que la fin du monde est pour demain. Signe distinctif qui ne trompe que rarement, ils ont le niveau orthographique et syntaxique de ma filleule de 3 ans. Et encore, je pense qu’elle s’en sort mieux que la plupart.
Leurs sources ? Internet pour l’essentiel, mais pas que. Le Québec est un repaire de complotistes en tous genres et on y trouve un nombre significatif de « gourous » qui évidemment se font une fortune sur le dos de ces abrutis crédules. Je me suis un peu promené (sur Facebook) dans ces groupes conspirationnistes quand je m’ennuyais et si c’est marrant cinq minutes, j’ai très vite été lassé par leurs bêtises. Il est impossible de discuter ou de remettre en cause leurs théories, au mieux je me suis fait traiter d’obscurantiste naïf pas encore « Eveillé à la Vérité » (avec majuscules, s’il vous plaît), au pire et à choix, un acheté ou un vendu au Système (toujours avec une majuscule) qui m’asservit –évidemment. Ces temps, ils se font un peu plus discrets, un méchant virus leur ayant volé la vedette sur les réseaux sociaux. Mais certains sortent prendre l’air et ont bien entendu mille théories sur le Covid-19, la plus en vogue étant que le SRAS-Cov-2 a été créé en laboratoire par les Américains avec la complicité des Français en vue de réduire drastiquement la population mondiale dont on sait depuis un bon moment qu’elle est trop nombreuse pour la santé de notre planète.
Je sais, c’est difficile à croire, surtout pour celles et ceux qui ne vont pas sur les réseaux sociaux et ignorent que ces crétins sont finalement assez nombreux. Un récent sondage a montré qu’un Français sur dix croyait ou pensait que la terre est plate et non sphérique. Je serais Jean-Michel Blanquer, je me ferais du souci relativement au niveau scolaire français. Bref, j’aurais des dizaines d’exemples à vous proposer, j’en ai retenu un qui est à la fois de saison et assez symptomatique de leur stupidité. Le voici en image, on relèvera que pour une fois, le niveau orthographique est excellent par rapport à ce qu’on voit la plupart du temps.

En bleu, une femme (a priori) qui est docteur en histoire, en gris son contradicteur donneur de leçon. Je précise qu’il s’agit là d’un niveau moyen de bêtise, certains arrivant à nettement mieux, surtout chez les platistes qui représentent la crème de l’élite. Ca fait rire, n’est-ce pas ? Depuis quelques années, des voix s’élèvent et demandent la fin de la politique professionnelle et le remplacement des élections par un tirage au sort parmi les citoyens. Ce en vue d’assurer une supposée meilleure représentativité de la société au niveau législatif et exécutif. Je vous laisse imaginer ce qu’il adviendrait de la santé publique, si celui ou celle qui veut envoyer un docteur en histoire exercer à l’hôpital était tiré au sort pour être ministre de la santé. En l’état actuel des choses, j’espère juste qu’il ou elle fait partie des abstentionnistes.
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
Mardi 7 avril 2020 – Jour 22
Enfin des températures qui remontent, surtout l’après-midi. Le vent est un peu tombé et on peut vraiment profiter de l’extérieur. On en a profité pour faire un peu de travail jardinier, les uns et les autres. L’amandier nous fait honneur et présente déjà beaucoup de fruits qui vont bien entendu encore devoir mûrir, mais je me réjouis déjà de pouvoir manger des amandes fraiches. Un privilège ! Après la taille, l’abricotier est monté en fleurs très rapidement mais les abeilles et autres insectes n’ont pas eu assez de temps pour la pollinisation.On aura tout de même quelques fruits, mais nettement moins qu’espéré, surtout si nos amis ailés s’en mêlent. Un petit truc au passage pour celles et ceux qui ont des arbres fruitiers dans leur environnement immédiat, l’été, laissez quelques fruits pourrir au pied de l’arbre, ce sont d’excellents anti-guêpes et frelons. Plus le fruit possède une teneur en sucres importante, mieux ça marche. Testé l’été dernier, c’est parfait, naturel et absolument sans odeurs désagréables tels les répulsifs chimiques.
Cet après-midi, première tonte du gazon. Eh bien il y en a au moins une que ça a agacée, c’est la minette. Madame roupillait tranquillou au soleil, une légère brise accompagnait sa sieste, bref que du bonheur. Et voilà que l’ahuri arrive avec sa tondeuse, la forçant à déménager. Je vous dis pas le regard désapprobateur dont elle m’a gratifié. Pour autant que j’y figure, me voilà radié de son testament, c’est certain. Je vais quand même essayer de la soudoyer ce soir en améliorant son ordinaire de croquettes avec un peu de jambon ou de gras. C’est toujours mieux que les « Monk » qui désinfectent leurs animaux de compagnie à la javel ou au gel hydroalcoolique… La capacité des humains à élever leur niveau de stupidité ne cessera jamais de m’étonner, elle est, comme l’affirmait Einstein, infinie.
Il y a peu, j’ai abordé la difficulté qu’on doit tous ressentir à l’idée de ne plus pouvoir voir ses proches, sa famille et ses amis, confinés que nous sommes pour une durée aujourd’hui encore très indéterminée. Plus que l’éloignement ou l’impossibilité de se déplacer librement, le plus dur est cette incertitude dans laquelle nous sommes tous plongés, sans exception. Lorsque nous affrontons une catastrophe naturelle ou une menace, nous pouvons être momentanément coupé des autres ou du monde et nous l’acceptons en général très bien car nous savons que dans un laps de temps assez court et déterminé, l’événement sera derrière nous et aussi précaire soit-elle, la situation se décantera et nous autorisera à reprendre le cours de nos vie. Les Antillais, par exemple, habitués et rodés au passage des cyclones connaissent bien ce phénomène et ils ont appris à développer une certaine fatalité face ce type d’événement. Dans 24 heures, on remet le nez dehors, c’est fini. Reste à compter les morts, les disparus et reconstruire ce qui peut l’être en espérant être épargné la fois suivante.
Le Covid-19 a créé une situation que personne aujourd’hui de ce monde aurait déjà vécue, non que les précédentes épidémies ne nous aient rien appris, mais parce que le maître mot qui résonne dans tous les esprits actuellement se nomme incertitude. Il suffit de suivre un peu les fils d’infos et les journaux télévisés pour ne plus savoir où on en est, qui croire ou ne pas croire, que faire ou comment le faire. Ca change presque d’heure en heure et le feuilleton des masques en est un très bon exemple. Ils sont d’abord inutiles, sauf pour les soignants et quinze jours plus tard, ils sont devenus indispensables pour envisager un déconfinement progressif. Les exemples sont nombreux, je ne vais pas vous les lister ici, chacun aura, selon son expérience, un ou plusieurs exemples à l’esprit. Incertitude, donc. Incertitude quant à la durée de la pandémie, incertitude économique, incertitude sanitaire, incertitude quant au monde de demain. La seule chose que tout le monde pressent, c’est les choses seront différentes. Dans quelle mesure, à quel degré, vers quels bouleversements, incertitude encore. J’imagine que c’est ce que devaient ressentir les grands navigateurs et aventuriers quand ils sont partis à la découverte du nouveau monde. Sauf qu’eux avaient fait un choix, l’incertitude ne leur avait pas été imposée.
Pour terminer, ce paradoxe qui risque de définir toute notre vie ces prochains temps, avez-vous remarqué ou pensé au fait que la meilleure preuve d’amour qu’on puisse donner à ses proches, à ses amis et à sa famille, est aujourd’hui de rester loin d’eux ? De ne pas les toucher, les embrasser ni même les côtoyer sauf si vous ne risquez pas de vous exposer à la contamination. Si j’aime l’idée qu’on puisse rester en contact via les techniques modernes de communication, je déteste l’idée ne pas pouvoir approcher ceux que j’aime avant je ne sais pas combien de temps. Incertitude encore.
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
L’éclat de rire du jour, c’est important pour le moral.

Lundi 6 avril 2020 – Jour 21
Ces images, nous les avons vues à maintes reprises aux informations, elles nous sont familières depuis l’épidémie de SRAS de 2002-2003 en Asie. Elles donnent l’impression de sortir d’un film catastrophe mal monté, mal sonorisé, mal éclairé. Je veux parler de ces images de foules de gens portant un masque de protection dans l’espace public. Plus les recherches avancent, plus l’identification des modes de transmission du virus s’affinent et la question est maintenant sérieusement posée de savoir si le Covid-19 ne se transmet pas du simple fait que nous respirons comme le suggèrent plusieurs articles de presse, dont un dans le journal suisse Le Temps. Dès lors il semble évident que nous devrons rapidement tous porter un masque dès que nous sortirons de chez nous.
Enfin, quand je dis rapidement, c’est une façon de parler, ça dépendra surtout de la disponibilité des fameux masques FFP2, bien connus de celles et ceux qui bricolent ou travaillent dans des environnements agressifs pour les voies respiratoires. Même les masques dits de chirurgien manquent cruellement, le problème étant que ces masques (FFP1-2-3) ont une durée d’efficacité de trois à quatre heures. Si l’on entend en fournir à l’ensemble de la population, ce sont des milliards de masques qu’il faudrait produire quotidiennement alors que les sites de production ne parviennent déjà pas à en fournir à l’ensemble du personnel soignant au contact des malades. Une véritable guerre des masques a débuté, certains pays proposant jusqu’à quatre fois le prix de base pour se les approprier. Autre problème, ces masques sont fabriqués pour la plupart en Chine, pour d’évidentes raisons de coûts. Comme la Chine semble devoir affronter une seconde vague épidémique, on peut raisonnablement penser qu’ils réquisitionneront ce qu’ils produisent en priorité pour leur propre usage.
Mais admettons que d’ici un mois, des pays comme la Suisse ou la France puissent fournir assez de masques à tout le monde pour permettre à la population de sortir du confinement, on se dirige donc vers une société masquée, à l’exception de la sphère privée. Je plains les fabricants de rouge-à-lèvre et de dentifrice « ultra white ». Les cérémonies des Césars et Oscars vont être vraiment glamour et je vous laisse imaginer une représentation masquée de Roméo et Juliette ou un concert des Rolling Stones version Covid-19. J’imagine mal une société où les préliminaires amoureux commenceront par une présentation en règle d’un certificat médical et où un baiser torride débutera un démasquage sensuel. Franchement, vous voyez Gabin dire à Michèle Morgan « T’as un beau masque, tu sais ? ». La collection d’estampes japonaise, accessoire de séduction désuet bientôt remplacé par “dis, ça t’intéresse de voir ma collection de masques chirurgicaux ?”. Le prochain carnaval de Venise va avoir de la gueule en version FFP2. Le seul avantage que j’y vois, c’est qu’on s’épargnera les haleines de chacal de certains. Je suis d’accord, ça fait léger, comme avantage.
Plaisanterie mise à part, je vois arriver cette mesure du port obligatoire avec une certaine angoisse, pour ne pas dire une angoisse certaine. A titre personnel, mais je parle aussi au nom de toutes celles et tous ceux qui comme moi souffrent d’une déficience auditive importante, le port du masque généralisé va consister en une descente aux enfers. Tout le monde inconsciemment récupère une partie des conversations en lisant sur les lèvres de son interlocuteur, mais pour les malentendants sévères, la lecture labiale est la seule possibilité de pouvoir comprendre les personnes avec qui ils parlent. C’est mon cas et je suis loin d’être le seul. Pour moi, pour nous, c’est quasi la fin de la vie sociale, alors qu’elle est déjà bien diminuée en situation normale. Mais ce n’est pas tout. Notre vie quotidienne va devenir un parcours du combattant. Comment pouvoir interagir simplement avec qui que ce soit s’il est impossible de les comprendre ? Je dois déjà systématiquement déléguer mes rares coups de fil à une personne bien entendante, alors si je dois aussi envoyer, ou me faire accompagner par des gens dans les commerces et les administrations, je vais tout simplement devenir fou. Et ce sans parler de l’aspect psychologique de devoir vivre une telle situation au quotidien pour une durée indéterminée. Je sens que mon psy va pouvoir changer de Ferrari tous les six mois.
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
Une vision du futur ? Non, ça se passe ici et maintenant :

Dimanche 5 avril 2020 – Jour 20
Depuis le début du confinement, il y a un discours qui revient souvent et qui crée de jolies batailles dans certains fil de commentaires. La grande question étant de savoir si les conséquences sociales et économiques du confinement ne seront au final pas plus importantes et graves que la maladie elle-même. Ou plus directement, est-ce que le remède ne sera pas pire que la cause. Il y a bien entendu tout l’aspect financier et économique de la chose, à savoir que plus le confinement durera et par voie de conséquence la fermeture des commerces ou services non-essentiels, plus le risque de perdre son emploi ou son entreprise pour les indépendants et artisans va augmenter. Il y a également l’aspect social et humain, c’est à dire dans quel état mental, psychique et physique va-t-on émerger à la fin du confinement. Evidement, les deux aspects sont intimement liés sous maints angles de vue.
La grande peur de celles et ceux à qui le confinement a été imposé est de savoir si dans quelques semaines ou mois, il auront toujours un travail et si oui, auront-ils toujours le même salaire aux mêmes conditions ? Il est certain que si la situation s’étend sur des mois, il y aura sans doute pas mal de PME à déposer le bilan. Il y a des mesures de sauvegarde mises en place pas les gouvernements, mais seront-elles suffisantes si rien ne redémarre d’ici mi-mai ou début juin, voire encore plus tard ? A l’heure actuelle, ce ne sont que questionnements et conjectures, tant la situation que nous vivons est unique. Les catastrophes naturelles, on connaît, on sait qu’un tsunami ou un cyclone font d’énormes ravages et prennent un nombre non négligeable de vies, mais ce sont des événements très courts dans leur survenance. De quelques minutes à quelques heures. Très vite, ensuite, la vie « normale » reprend ses droits, les gens s’organisent et en quelques semaines ou quelques mois, il ne reste guère que quelques cicatrices visibles. J’ai pu le constater aux Antilles après le passage des deux ouragans Irma et Maria.
La situation actuelle est radicalement différente, d’une part parce que l’événement s’installe dans la durée, et surtout personne ne sait quand il prendra réellement fin. Par fin, j’entends que nous ayons un vaccin utilisable et que les mesures sanitaires actuelles ne soient plus nécessaires. En outre, il est presque impossible de se prémunir contre le Covid-19, tant les moyens à disposition sont inexistants ou en pénurie. Pour tout arranger, les catégories qu’on pensait pratiquement immunisées contre le virus ne le sont pas vraiment, même si les risques de tomber gravement malade sont moindres que pour d’autres. Il y a aussi les morts dont le chiffre qui augmente sans cesse finit par démoraliser les plus optimistes. A cause du confinement et des mesures d’isolement strictes des malades gravement atteints, il n’est même pas possible pour les proches d’aller rendre visite à l’hôpital et éventuellement d’accompagner dans ses derniers instants un conjoint, un parent ou un ami proche.
J’ai pu mesurer pendant 4 ans à quel point il peut être compliqué de partager avec quelqu’un un espace restreint et confiné. Dans mon cas, cela relevait d’un choix assumé, mais quand je pense à celles et ceux qui ont déjà de la peine à rester à la maison un week-end de mauvais temps, j’ose à peine imaginer l’enfer qui est en train de se développer dans certains foyers. Les cas de violences familiales ont déjà explosé et la police a dû abattre un homme complètement ivre qui battait sa femme et qui a décidé d’attaquer au couteau les agents venus pour le calmer et le maitriser. Et nous n’en sommes qu’à trois semaines de confinement. Admettons qu’un retour à la « normale » soit envisagé d’ici l’été, dans quel état sera alors la population ? Comment gérer des dizaines ou des centaines de milliers de personnes qui auront tout perdu, seront au chômage ou à la rue ? Il y aura probablement des vagues de suicides et de violences et on peut se demander à quoi auront servi les sacrifices consentis pour lutter contre le virus ? Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux rapidement prendre le risque d’augmenter encore le nombre de malades et de morts, mais de permettre à celles et ceux qui passeront entre les gouttes de reprendre le cours de leur vie ?
Je n’ai pas la réponse, ni même un début d’idée sur ce point. C’est une question philosophique et mathématique qui entrainera des décisions que je n’aimerais pas devoir prendre. Ni dans un sens, ni dans l’autre. Nos dirigeants sont actuellement sous le feu nourri de la critique quotidienne et quoi qu’il arrive ils se feront tirer dessus, c’est une certitude. Dans une telle situation, il n’y a malheureusement pas de bonne ou de mauvaise solution, juste une succession de choix cornéliens à mesure qu’elle évolue. Une chose est certaine, plus rien ne sera comme avant, personne n’échappera aux conséquences du Covid-19.
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
Le sourire du jour, de la difficulté de gouverner :

Samedi 4 avril 2020 – Jour 19
En ce 19ème jour de confinement, je prends un moment pour me demander de quoi, au fond, je manque, ou plutôt de quoi j’ai l’impression de manquer. Eh bien le truc qui me manque le plus ici, c’est la salade de dents-de-lion ! Bon, je sais que vous êtes en train de penser que si mon seul problème est de ne pas pouvoir manger ce plat de saison, je ferais mieux de me taire ! Oui, mais c’est drôlement bon, la salade de dents-de-lion. Avec les petits lardons grillés et les oeufs mollets, c’est même un plaisir rare. Sinon, au niveau nourriture, je ne manque de rien, nous trouvons de très bons produits frais et bio (ou pas) auprès des petits producteurs locaux qu’on rencontrait jusqu’ici au marché le samedi matin. Vu l’interdiction des marchés, les étaliers ont obtenu une autorisation de faire des mini-marchés (3 producteurs maximum) et se répartissent l’espace tout au long de la semaine. De plus, il y a l’échoppe des petits producteurs qui reste ouverte quand l’épicerie paysanne vient de fermer pour un mois. Normal, le gars qui la tient a des soucis d’approvisionnements et ne réalisait que 10.-€ de chiffre d’affaire certains jours. Dans ces conditions, autant rester à la maison.
Au chapitre des « quoi », franchement, je n’ai pas l’impression de manquer de quoi que ce soit d’important ou d’immédiatement nécessaire. Evidemment, mon voilier et la navigation me manquent un peu, certains jours plus que d’autres. Le fait que les températures ne soient pas encore vraiment printanières m’aide bien également. Mais je sais que dès les bonnes chaleurs installées, ça va recommencer à me démanger. Même si on ne peut pas aller partout, le simple fait de pouvoir être en mer sera une fabuleuse récompense. De plus, Azymuthe est prêt à partir à 99%, juste un service moteur à faire et mettre les écoutes à poste.
J’ai d’ailleurs fait partie des râleurs lorsque la navigation est devenue interdite et les ports bouclés. Selon le raisonnement que si on parle de confinement, un des meilleurs et des plus sûrs endroits restait un bateau au mouillage et encore plus en haute mer. Oui, sauf qu’il y a tout l’aspect sécuritaire de la chose. En cas de problème important, gendarmerie, SNSM ou encore douanes sont tenues de répondre et d’intervenir. Dès lors, il est très vite apparu que les services d’urgence avaient sans doute d’autres priorités que le sauvetage de plaisanciers en balade. Donc très logiquement, tout le monde reste au port. J’adore être sur mon voilier, mais dès l’instant où on ne peut pas bouger et qu’on est confinés, je suis nettement mieux à terre pour profiter de tout le confort y relatif.
En revanche si je ne ressens que très peu le manque matériel, je commence à avoir envie de voir ma famille, mes amis et mes proches. Ce d’autant que fixer une date raisonnable pour les retrouvailles est au mieux aléatoire en ce moment. On dit souvent que la nature a horreur du vide, je crois que l’humain, en général, a horreur de l’incertitude. Si la séparation d’avec ceux qu’on aime peut être parfois ressentie comme difficile, je trouve que ne pas savoir quand on les reverra est bien plus délicat à gérer. J’ai de la chance, nous sommes un petit groupe très sympa ici et si nous ne nous voyons pas systématiquement tous les jours, il est très agréable de savoir qu’on n’est pas complètement seuls et isolés comme certains.
Côté positif, nous avons la chance de vivre cette crise à l’heure d’internet, de l’email, des réseaux sociaux et des SMS ou apparentés. L’outil informatique constitue réellement un énorme plus, en tous cas pour toutes celles et tous ceux qui sont connectés. Télétravail, cours à distance, vidéo-conférence sont devenus indispensables en cette période de confinement. Si les cinémas et salles de spectacle sont fermés, nous avons le streaming et les diffusions en direct de certains artistes, eux aussi confinés. Dernier truc à la mode, le vidéo-apéro. Comme le relevait une amie, le gros avantage est qu’on n’a pas à prendre le volant pour rentrer à la maison.
Je me rends compte aussi que je pense plus souvent aux gens que j’aime et apprécie et ai envie de prendre des nouvelles et en donner. L’occasion peut-être aussi de renouer des liens distendus ou brisés. En cette fin de 3ème semaine de confinement, le temps long a commencé à s’installer et même si nous ne savons pas encore quand les choses vont commencer à vraiment s’améliorer, je pense que nous avons tous adapté notre manière de vivre et fonctionner. L’être humain est naturellement résilient lorsque les circonstances l’exigent. Avec des exceptions, bien sûr.
Je trouve également très intéressant de réfléchir à l’après Covid-19. Quelles vont être les conséquences sociales immédiates ? S’achemine-t-on vers le port permanent du masque dans l’espace public ? Est-ce que les serrements de mains ou les embrassades vont disparaitre de nos usages et habitudes ? Va-t-on revoir les hygiaphones aux guichets postaux, administratifs et bancaires ? Est-ce que les magasins devront conserver des accès réduits ou au contraire vont-ils disparaitre au profit des commandes en ligne pour tout, tout le temps ? Et les bistros, hôtels et autres restaurants, bars et boites de nuit ? Alors que le bistro/PMU de quartier est une institution sociale presqu’aussi ancienne que le regroupement des populations en villages, bourgs et villes, quel visage aura-t-il demain ? Finies les tables rondes où les esseulés se retrouvaient pour partager un verre et un moment de discussion en revenant des courses ou du travail ? Fini les apéros conviviaux agglutinés au comptoir où les miasmes circulent plus vite qu’une MST dans un clandé du XIXème siècle ?
On parle beaucoup de désinfection systématique et quotidienne de tout l’espace public. Imaginons un instant ce que ça signifie pour nos habitudes de vie, pour les commerces et entreprises. J’imagine qu’il va falloir s’adapter et organiser son quotidien selon de nouveaux standards très contraignants. Va-t-on devoir aller faire ses courses en devant systématiquement prendre des rendez-vous tout comme nous le faisons naturellement aujourd’hui pour aller chez le médecin ou le dentiste ? Si oui, j’imagine qu’on va relire nos listes de courses dix fois avant d’aller se ravitailler. Terminé d’aller en vitesse acheter le kilo de farine ou la branche de persil qu’on a oublié de noter.
Si nous trouvons normal de devoir appeler un restaurant pour réserver une table, imagine-t-on une nouvelle application de téléphone où nous devrons réserver une une table pour venir boire un café à une heure précise et pour une durée convenue ? Et franchement, je ne me vois pas bien vivre dans un monde où tout le monde serait masqué, où on ne pourrait plus voir un beau sourire d’enfant ou la joie d’une femme ou d’un homme qui vient d’apprendre une bonne nouvelle. Si nous devons rapidement changer la plupart de nos code sociaux et de vivre ensemble, comment vont se développer les rapports humains ?
Depuis des années, ma tendance au misanthropisme s’accentue et ce ne sont pas les cinq dernières années passée en mer qui ont arrangé les choses. Je suis assez sélectif dans mes relations sociales et amicales, mais les gens que j’aime et apprécie, j’ai besoin d’avoir des contacts avec eux. J’ai besoin de pouvoir les prendre dans mes bras, les embrasser, les toucher, leur serrer la main et les respirer. Vivre la solitude et l’isolement n’est pas facile ni évident, mais vivre isolé en étant entouré de gens me parait être une perspective bien attristante et déprimante. A l’aune de l’égoïsme qui tend à régir nos interactions sociales depuis vingt ou trente ans, l’avenir me parait tout sauf enviable. Comme un leitmotiv que les fans de la série Game of Throne connaissent par coeur, « winter is coming ».
Et ce sera tout pour aujourd’hui, à demain.
L’éclat de rire du jour :
